
Le zaatar : histoire, saveurs et usages d'un mélange mythique du Levant
Le zaatar n’est pas une simple épice mais une mosaïque aromatique qui incarne la garrigue du Levant ; son nom désigne à la fois le thym sauvage qui pousse sur les collines calcaires de Galilée et le mélange que l’on obtient en broyant cette plante avec des graines de sésame grillées, du sumac acidulé et une pincée de sel marin. Les archéologues ont retrouvé des traces de ce condiment sur les parois des amphores de l’ancienne cité d’Akko, preuve qu’il parfumait déjà les galettes de céréales il y a plus de deux mille ans. Au XIXᵉ siècle les paysans libanais le pilent encore chaque automne ; les femmes sèchent le thym entier au soleil, le froissent pour détacher les feuilles, puis mêlent ses paillettes vertes au sésame blond fraîchement torréfié. Le sumac réduit en poudre pourpre apporte la touche finale : une acidité sèche qui remplace le citron sans apporter d’humidité.
Au parfum le zaatar déploie trois registres : une note herbacée presque résineuse qui rappelle la sarriette et l’origan, un fond de noisette dû aux huiles du sésame et une pointe d’agrume amenée par le sumac. En bouche le mélange nappe le palais, d’abord légèrement gras, puis la fraîcheur du thym prend le dessus avant qu’une salivation citronnée ne vienne équilibrer l’ensemble. Cette séquence en fait un assaisonnement complet ; il apporte gras, sel et acidité d’un seul geste, raison pour laquelle les marchands ambulants de Jérusalem en vendent des cornets entiers à plonger directement dans l’huile d’olive.
La recette la plus emblématique reste la man’oushe : un pain plat cuit à même la pierre, frotté d’huile puis semé d’une cuillerée de zaatar avant d’être remis au four quelques secondes pour que l’herbe libère son parfum et que le sésame crépite. Goûtez-le encore brûlant, roulé sur lui-même ; vous comprendrez pourquoi les écoliers libanais l’emportent au petit déjeuner.
Dans une cuisine contemporaine le zaatar se glisse partout où une fine couche d’herbes fraîches serait la bienvenue sans nécessiter de découpe. Une burrata déposée dans une assiette profonde, un tour d’huile d’olive douce, une pincée de zaatar : l’acidité du sumac réveille la crème, le sésame ajoute du croquant et le thym joue le rôle d’une herbe cueillie à la minute.
Sur des légumes rôtis le zaatar agit comme une panure sèche. Coupez des carottes nouvelles dans la longueur, mélangez-les encore tièdes avec un trait d’huile d’olive et une cuillerée de zaatar ; à la première bouchée le sucre caramélisé du légume se heurte à l’acidité sèche, puis la noix du sésame prolonge la mastication. Un filet de labneh ou de yaourt grec posé à côté recueille l’excédent d’huile parfumée et fait office de sauce sans travail supplémentaire.
Les viandes ne sont pas en reste ; frottez un gigot d’agneau de deux cuillerées de zaatar avant de l’enfourner à basse température ; le thym grille, le sésame brunit et colle en surface tandis que le sumac pénètre la chair et équilibre la richesse de la graisse. On obtient une croûte sombre, presque laquée, qui dispense de toute sauce accompagnatrice.
Le soir où l’on manque de temps un simple œuf au plat peut devenir levantin ; cuisez le blanc jusqu’à ce qu’il frise, gardez le jaune coulant, versez une larme d’huile d’olive chaude et saupoudrez de zaatar : chaque fragment de sésame se colle à l’albumine, chaque grain de sumac éclate sous la dent, l’herbe diffuse son parfum à la vapeur.